Il y a tout juste cinquante ans le groupe System Dynamics du Massachusetts Institute of Technology de Cambridge affirmait clairement, au travers du désormais célèbre « rapport Meadows » que la poursuite de la croissance économique et démographique épuiserait les ressources de la Terre et conduirait à l’effondrement de l’économie mondiale d’ici 2070. Cette affirmation était à l’époque le résultat d’une des premières études de modélisation permettant de prévoir les impacts environnementaux et sociaux de l’industrialisation.

Débats scientifiques

Pour l’époque, cette prévision était choquante et à contre-courant de la pensée consumériste portée par les Trente-glorieuses. C’était presque une hérésie de suggérer que certains des fondements de la civilisation industrielle – l’extraction du charbon, la fabrication d’acier, le forage de pétrole et la pulvérisation d’engrais sur les cultures – pourraient causer des dommages durables voire irréversibles. Et de nombreux scientifiques n’adhéraient pas à cette théorie, soutenant que la technologie viendrait au secours de la planète.

Quoi que les ordinateurs puissent dire sur l’avenir, il n’y a rien dans le passé qui donne le moindre crédit à l’idée que l’ingéniosité humaine ne peut pas à temps contourner les difficultés humaines matérielles.

Solly Zuckerman, ancienne conseillère scientifique en chef du gouvernement britannique

Les débats n’ont pas cessé depuis. Bien qu’il y ait maintenant un consensus sur le fait que les activités humaines ont des effets environnementaux irréversibles, les chercheurs ne sont pas d’accord sur les solutions, surtout si cela implique de freiner la croissance économique. Ce désaccord empêche l’action. Il est temps pour les chercheurs de clore leur débat. Le monde a besoin d’eux pour se concentrer sur les objectifs plus vastes d’arrêter la destruction catastrophique de l’environnement et d’améliorer le bien-être.

Des chercheurs tels que Johan Rockström de l’Institut de Potsdam pour la recherche sur l’impact climatique en Allemagne soutiennent que les économies peuvent croître sans rendre la planète invivable. Ils soulignent des preuves, notamment des pays nordiques, que les économies peuvent continuer à croître même si les émissions de carbone commencent à baisser. Un mouvement de recherche parallèle, connu sous le nom de « post-croissance » ou « décroissance », affirme que le monde doit abandonner l’idée que les économies doivent continuer à croître, car la croissance elle-même est nocive. Ses partisans incluent Kate Raworth, économiste à l’Université d’Oxford et auteure du livre de 2017 Donut Economics , qui a inspiré son propre mouvement mondial.

Changer d’outil de mesure

La croissance économique est généralement mesurée par le produit intérieur brut (PIB). Cet indice composite utilise les dépenses de consommation, ainsi que les investissements des entreprises et des gouvernements, pour arriver à un chiffre de la production économique d’un pays. Les gouvernements ont des départements entiers consacrés à s’assurer que le PIB pointe toujours vers le haut. Et c’est un problème, disent les chercheurs post-croissance : lorsqu’ils sont confrontés à un choix entre deux politiques (l’une plus verte que l’autre), les gouvernements sont susceptibles d’opter pour celle qui est la plus rapide à stimuler la croissance pour soutenir le PIB, et cela pourrait souvent être l’option qui cause le plus de pollution.

Un rapport publié récemment par l’Organisation mondiale de la santé indique que si les décideurs n’avaient pas une obsession pathologique du PIB, ils dépenseraient davantage pour, par exemple, rendre les soins de santé abordables pour chaque citoyen. Mais les dépenses de santé ne contribuent pas au PIB de la même manière que les dépenses à l’industrie ou au militaire. Il faut donc changer d’outil de mesure ! De nouvelles règles de ce qui devrait être mesuré par le PIB, incluant la durabilité et le bien-être, devraient être effectives en 2025.

Nouvelles réflexions pour un nouveau projet de société

Fin janvier, la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques a annoncé une vaste étude sur les causes de la perte de biodiversité, y compris le rôle des systèmes économiques. Plus de 100 auteurs de 40 pays et de domaines différents passeront deux ans à évaluer la littérature sur ce sujet afin de mettre en perspective un nouveau paradigme sociétal. Les scientifiques de la croissance verte et de la post-croissance expriment malheureusement des visions différentes aux décideurs politiques au risque de retarder l’action. En 1972, quand le rapport Meadows est sorti, il était encore temps de débattre, et moins urgent d’agir. Maintenant, le monde manque de temps.