Le modèle de l’économie moderne et globalisée est absurde mais perdure pourtant depuis au moins trois décennies. Le bois et le graphite de ce crayon à papier que vous tenez entre vos doigts provient de l’autre bout du monde, c’est ainsi, et chacun l’admet sans se poser trop de questions. Résultat : un conflit, une pandémie, une rupture d’approvisionnement et, plus de crayon ! Dommage…
Regarder l’histoire…
Les grands théoriciens néolibéraux suggèrent qu’un monde globalisé, une sorte de « marché interconnecté géant » réduit les risques de grands conflits mondiaux. L’interdépendance économique des pays induit qu’aucun d’eux n’a intérêt à scier la branche sur laquelle il est assis. On peut en douter : une économie mondiale en réseau augmente le risque d’ un effondrement total du système . Un choc dans un coin du monde peut exercer une pression importante et soudaine sur des systèmes économiques et politiques situés à des milliers de kilomètres. C’est « l’effet papillon ». L’histoire, dans d’autres proportions, confirme ce risque d’effondrement : lorsque l’Empire romain a cédé sous une vague de chocs inattendus, le résultat n’a pas été un déclin lent et progressif mais un effondrement total et rapide.
Ce processus défini et documenté par le théoricien Joseph Tainter semble inexorable : la complexité et la sophistication croissantes entraînent une fragilité croissante et, lorsqu’une combinaison de chocs arrive, la société toute entière se déstructure. Non, ça n’est pas la fin du monde, la vie continue, juste d’une manière plus frugale et plus simple.
Quand l’effondrement de notre société contemporaine a-t-il débuté?
Selon le théoricien de l’effondrement John Michael Greer notre société contemporaine aurait commencé à s’effondrer lors la crise économique de la fin des années 1970 : désindustrialisation, appauvrissement des classes ouvrières alors même que les bénéfices thésaurisés par les oligarques augmentaient fortement, baisse de la biodiversité, augmentation de la pollution planétaire. Greer appelle cela «l’effondrement catabolique». Cette vision sombre s’accorde bien avec l’analyse plus récente (2016) de Wolfgang Streeck selon laquelle la crise du capitalisme après les années 1970, accélérée par le krach financier de 2008, nous a conduits dans une période d’entropie et de décadence civilisationnelles . Pour lui, nous vivons » la vie dans l’ombre de l’incertitude, toujours au risque d’être bouleversé par des événements surprises… ». C’est une période où « des changements profonds se produiront » de manière imprévisible, et où chaque dernier effort pour tirer profit d’un système qui s’effondre sape davantage la structure sociale. Une période qui offre à quelques-uns (riches oligarques et marchands de guerres) de belles opportunités mais qui impose aux autres insécurité et incertitude. L’Empire romain n’est pas tombé pour une seule raison. Il a fallu la combinaison du changement climatique, de la rivalité des élites, du désastre militaire, des pressions migratoires et la fragilité de chaînes d’approvisionnement complexes pour que l’effondrement survienne.
Et maintenant ?
Les efforts tardifs des gouvernements du monde entier pour sécuriser les chaînes d’approvisionnement fragiles, relocaliser certaines productions stratégiques et garantir une forme de sécurité alimentaire pour la population confirment la fragilité du système en place. Alors que les routes commerciales s’étiolent, que les prix des denrées s’envolent et que la consommation fléchit , il s’agit maintenant d’assurer une descente contrôlée et d’éviter un effondrement soudain et cataclysmique.